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Autour des fours à pots de Ger…

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fouille du four Legrain au Placître
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Ger
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Les techniques

Pourquoi « les fours... » ?

Le centième anniversaire de la dernière cuisson de poteries au village du Placître (le 30 juin 2019), qui abrite aujourd’hui le Musée de la poterie normande, était l’occasion de faire un point des connaissances sur les fours à pots de Ger.

En effet, les fours, ou ce qu’il en reste, comptent parmi les vestiges les plus intéressants et les plus instructifs. Sans eux, pas d’atelier avéré. Près d’eux, sauf rare exception, des rebuts de fabrication, des tessonnières, qui permettent de dresser les typologies céramiques indispensables à l’établissement d’un vaisselier. Ils témoignent également, comme les céramiques qui en sortent, du degré de technologie atteint par une société à un moment donné. En effet, que de connaissances et de savoir-faire faut-il pour atteindre les 1250° à 1300° nécessaires à la production d’un grès fabriqué à partir de l’argile domfrontaise. De surcroît, figées dans la terre cuite des foyers et/ou des soles (bases horizontales ou subhorizontales de la chambre de cuisson, où sont placées les céramiques à cuire) de ces fours, les inclinaisons et déclinaisons archéomagnétiques peuvent livrer à quelques décennies près, parfois 15 ou 20 ans, la datation de leur dernière chauffe.

Les fours à pots de Ger, on le sait, ont une singularité. Dès la fin du Moyen Âge, ils ont servi à cuire des grès, ces céramiques à la pâte semi-vitrifiée, étanche, qui connaîtront un essor considérable, pour contenir des boissons ou conditionner des denrées alimentaires comme le beurre ou la viande. Des grès, la Normandie en a produit dans trois secteurs. En Haute-Normandie, du côté du hameau de Martincamp (c. Bully) ; dans le Bessin (notamment au Molay et à Noron) et le Cotentin (notamment à Néhou, Sauxemesnil ou encore Vindefontaine) ; enfin à Ger et dans le Domfrontais, notamment à La Haute-Chapelle (Orne) où les premiers grès normands ont été mis au point, vraisemblablement à la fin du XIIIe siècle ou au début du XIVe siècle.

Ainsi, une quarantaine d’ateliers producteurs de protogrès et de grès ont été localisés dans un rayon d’une vingtaine de km autour de Domfront (Orne), depuis Ger, à l’ouest, jusqu’aux ateliers situés en lisière de la forêt des Andaines, à l’est. Les plus anciens se trouvent tout près des carrières d’argile, à l’ouest de Domfront, en particulier dans la commune de La Haute-Chapelle. Tous ces ateliers ont en commun l’utilisation des argiles provenant de ces carrières.

Avant les fours de Ger.

Les fouilles de la Potterie à Saint-Georges-de-Rouelley (Manche), de la Goulande et de la Picaudière à La Haute-Chapelle (Orne) ont permis de mettre au jour des restes de fours médiévaux. C’était de petits fours longitudinaux, à la sole faiblement pentue (de l’ordre de 6 à 7 %, de 4 à 5 m de longueur, 1,3 à 1,5 m de largeur, dont le volume de la chambre de cuisson n’excédait sans doute pas 2 à 3 m3). On y a cuit des oules, pots de stockage et cruches, pour l’essentiel, ainsi que les célèbres vases à « œil-de-perdrix ». Notons que c’est à l’occasion de la fouille de l’atelier de la Picaudière qu’ont été recueillis les premiers grès aux normes de capacité standardisées (pichets, XIVe siècle). Des céramiques provenant de ces trois sites sont exposées au Musée de Ger.

Les fours à pots de Ger : les outils de la localisation.

C’est à Ger que le plus grand nombre de fours à pots ont été localisés, à partir de sources écrites (actes notariés), de sources cadastrales (cadastre de 1812, état des sections des propriétés non bâties) ou de prospections de terrain (avec le concours de Philippe Bernouis et de Christian Gilles qui a participé aux campagnes de prospection). Les représentations des fours sur le cadastre napoléonien sont données, à titre d’exemple, pour les villages de la Bouchardière (fig. 1), de l’Être-au-Lièvre et du Placître (fig. 2, 3), mais la plupart des fours en activité au début du XIXe siècle voire dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle y figurent. Notons que ces mêmes sources notariales et cadastrales, liées à des prospections de terrain, ont conduit à la localisation probable de la motte de Ger, près de l’église, fortification mentionnée dans la chronique de Robert de Torigni ainsi que dans un acte d’Henri II Plantagenêt daté de 1170, édité par Léopold Delisle.

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Fig. 1 : Ger, atlas cadastral de 1812, section C, village de la Bouchardière. Dessin de deux fours à pots contigüs dans les parcelles 1507 et 1509.

 

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Fig. 2 : Ger, atlas cadastral de 1812, village du Placître, section B, copie simplifiée ; emplacement des 3 fours A, B (four Legrain) et C.

 

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Fig. 3 : Ger, état des sections du cadastre de 1812, propriétés non bâties, village du Placître, section B. La parcelle 458 (four C de la fig. 2), contient un « four à pots et bâtiment », alors que la parcelle 455 comprend une cour et un « magasin de pots ». Elles appartiennent à Gabriel Esnus [Esneu], fabricant [de pots] à Ger.

 

La fouille de fours.

Plusieurs sondages ou sauvetages archéologiques ont été menés dans le but d’étudier des restes de fours et leurs rebuts de production. Ainsi, du plus ancien au plus récent, la fouille de l’atelier de Perroux a vu la mise au jour d’un four longitudinal à la sole pentue (de l’ordre de 30 %), mesurant environ 8,50 m de longueur hors oeuvre, 1,50 m de largeur intérieure pour une hauteur probable sous voûte d’environ 1,50 m et un volume utile d’une dizaine de m3. Il a livré des centaines de kg de rebuts et une riche typologie des formes céramiques produites à Ger autour des années 1500. Des éléments de comparaison avec les restes du premier four à pots du Maupas à Champsecret (Orne), plus récent (XVIIe siècle ?), mais au format proche du four de Perroux, ont été présentés. Le sondage du site de Rougebutte, à Ger, a permis la mise au jour partielle de deux fours contigüs, selon une disposition déjà observée pour les fours A et B (Legrain) du Placître (fig. 2). Les sources cadastrales et fiscales, tout comme la typologie céramique, rendent plausible un abandon du site avant la fin du XVIIe siècle.

Les « fours mixtes » de Ger.

La fouille du four « Legrain », menée en 1987 par Philippe Bernouis, à la demande de l’Association des amis de la Poterie de Ger, a révélé un type de four aux caractéristiques uniques, baptisé ultérieurement « four mixte » (fig. 4). Sa particularité est en effet de combiner un tunnel d’une dizaine de mètres de longueur, d’un volume d’environ 25 m3, au tirage subhorizontal et, dans son prolongement, deux chambres de cuisson superposées (2,5 m3 par chambre), à sole perforée et tirage vertical, faisant aussi office de cheminée (fig. 5). Dans le tunnel étaient placés les pots à cuire à haute température, destinés à devenir des grès. Dans la cheminée, la température était encore suffisante pour y cuire briques, tuiles et poteries horticoles. Sous réserve de vérification (s’il n’est pas déjà trop tard) dans les restes des ateliers producteurs de grès du sud des Andaines, il semble bien que le modèle de four gérois de dernière génération, le « four mixte », soit unique. Dans d’autres centres producteurs de grès en France, d’autres modèles, différents, ont été réalisés ou adaptés. On s’en convaincra en observant, par exemple, celui de Noron-la-Poterie (Bessin), décrit par Jules Morière au milieu du XIXe siècle ou encore celui de Saveignies (Beauvaisis), décrit par Alexandre Brongniart dans son Traité des arts céramiques.

 

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Fig. 4 : schéma de principe de fonctionnement du four mixte, à partir des données du four Legrain (four B). Le canal de débraisage représenté ici, qui passe sous le foyer, a été observé dans le seul four C. (tiré de D. Dufournier et B. Fajal, « Les ‘’fours mixtes’’ du centre potier de Ger (Manche) », Revue archéologique de l’Ouest, 1996, 13, p. 177-183.)

 

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fouille du four Legrain au Placître
Fig. 5 : la porte d’accès à la chambre de cuisson inférieure, aménagée dans la cheminée du four Legrain. En coupe, l’arc de la voûte et la sole perforée de la chambre de cuisson supérieure.

 

À quelle date le four mixte gérois est-il apparu ?

Un premier jalon chronologique peut-être posé avant le milieu du XVIIIe siècle. En effet, le four B ou four « Legrain », est qualifié vers 1760 de « four neuf ». Son voisin, le four A, est qualifié d’ancien four, alors qu’il est déjà mixte et semble avoir beaucoup produit, si l’on en juge par l’épaisseur des tessonnières qui le jouxtent au moment de son abandon (fig. 2). Le site de Rougebutte, on l’a vu, présente une disposition de fours analogue à celle du Placître. De surcroît, on observe deux autres points communs entre les fours de ces deux villages de Ger. Leur aire foyère et le pendage de la sole de leur chambre de cuisson ont des caractéristiques très voisines. Un point reste à étudier, la morphologie de la cheminée des fours de Rougebutte.

En guise de conclusion : comment préserver et poursuivre la valorisation d’un tel patrimoine ?

En ces temps de désengagement de l’État, d’appauvrissement sans précédent et dans tous les domaines des politiques culturelles, de marginalisation des zones rurales au profit des « métropoles » qui draînent maintenant l’essentiel des richesses, œuvrer encore pour sauvegarder les vestiges d’une industrie rurale n’est pas une mince affaire. Pourtant, les acteurs locaux, la municipalité de Ger, en renforçant son plan local d’urbanisme, les associations, le Musée de Ger restent mobilisés.

Pour préserver et valoriser encore ce patrimoine, les arguments ne manquent pas. Avec plus de cinq siècles de tradition potière, une dimension proto-industrielle, les traces matérielles de ses productions observées dans de nombreuses fouilles dans le grand ouest de la France, en Amérique du nord, en Amérique du Sud et aux Antilles, Ger concentre les vestiges de dizaines d’ateliers de potiers. Certes, les destructions de fours ont été nombreuses, surtout à partir des années 1960 – 1970, au bas du Placître (au moins un four), à la Bouchardière (deux fours contigüs), à la Haute-Louverie (un four), à la Bouverie (un four), au Gué Rochoux (un four), au Champ Duval, au Breil, etc., et peut-être plusieurs fours dans le bourg même, sans compter les destructions sans témoin, favorisées par le manque de protection légale de ce type de vestiges. Il reste néanmoins dans cette commune un potentiel considérable, et les questions archéologiques et historiques à résoudre sont nombreuses. Une étude solide des fours mixtes de dernière génération a bien eu lieu, mais nous manquons cruellement de données pour les périodes antérieures, que ce soit sur les fours à pots eux-mêmes et d’éventuels restes de bâtiments artisanaux, ou encore sur les types céramiques produits avant le XVIIIe siècle, hormis les acquis de Perroux pour les années 1500 et ceux, encore à préciser, de Rougebutte. Il est bien difficile de distinguer du point de vue typologique, dans l’état actuel de la recherche et pour l’époque moderne, les grès provenant des ateliers de Ger de ceux qui ont été produits, à partir de la même matière première argileuse, dans les ateliers domfrontais. Autant d’éléments qui justifient un soutien sans faille à celles et ceux qui œuvrent pour préserver ces richesses patrimoniales uniques en France.

Bruno Fajal (CRAHAM-UMR 6273), Université de Caen-Normandie

Résumé de la communication présentée par Bruno Fajal au Musée de la poterie normande à Ger le 30 juin 2019, à l’occasion du centenaire de la dernière cuisson dans un four potier du Placître.

Parution de l’article dans le journal de l’association Généalogie Et histoiRe, « Le Cousin GERmain », n° 73 - juillet à décembre 2019.

Adresse

50850 Ger
France

48.68129, -0.7882196

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