Aller au contenu principal

Les Dumaine de Ger à Quimper

Image
les batteurs de terre à Quimper
Localisation:
>
Locmaria
Type d'article:
Les ateliers et les familles

À l’occasion du centenaire de la dernière mise à feu du four potier du Placître, le 30 juin 2019, le Musée de la poterie normande avait invité Christian de la Hubaudière, descendant de faïencier de Quimper pour évoquer, à la fin XVIIIe s., la fondation d’une manufacture de grès à Quimper par un maître potier de Ger. Voici la synthèse de sa conférence :

Dans « La Vierge de faïence », j’explique les débuts de la faïence de Quimper par mon ancêtre Pierre Bousquet, venu de Provence. Il utilisait un four à gril dans lequel on ne place que 4 à 5 % de faïence peinte. Son successeur, Pierre Clément Caussy, venu de Rouen, y continue le style de décor « au poncif », c’est-à-dire au « style de Rouen ». Surtout, il remplace les fours à gril de Bousquet par des fours à gorge plus rentables en faïence peinte, car permettant d’en placer 100 % en cas de besoin.

 

Image
Fontaine de Quimper à décor rouennais, époque Caussy, à partie de 1747 / Coll. Musée de la faïence de Quimper © G. Kervella

 

La Guerre de Sept-Ans (1756-1763) est un tournant, la faïence rouennaise de grand feu, devenue désuète, est remplacée par la porcelaine de Meissen, la terre d’Angleterre, la faïence de petit feu, la porcelaine tendre, la porcelaine dure… Comme Rouen, Locmaria poursuit sa production, mais la soigne moins et n’innove plus. J’indique dans le livre « L’art de la fayence des Caussy » comment distinguer ces faïences de Rouen et Quimper (Locmaria), souvent confondues, et j’y publie le livre de mon ancêtre expliquant les diverses techniques et les fours de l’époque.

Image
L’art de la fayence des Caussy, faïenciers à Rouen et Quimper au XVIIIe siècle, Édition Lilou, 2007.

 

Cependant, le « cul-noir » créé par son père et apporté par Caussy, en terre réfractaire, est un relais de croissance, et concerne la cuisson et le service à table. A l’exportation, remplissant deux fonctions, il est rentable car il prend moitié moins de place. Mais la vraie demande concerne la conservation des aliments sur longue durée. Caussy comprend que la solution passe par les récipients en grès, que fabrique Ger en Normandie depuis des siècles. Nicolas Appert apportera dès 1795 la solution de la conserve en verre, puis en fer-blanc en 1810. Mais cela intéressera surtout l’armée, pas les particuliers dans un premier temps.

L’arrivée du maître potier gérois à Quimper

À Quimper, la loge maçonnique « la Parfaite Union » créée en 1773, a son siège dans la manufacture de faïence. On y étudie l’essai de Jean-Jacques Rousseau « du Contrat social », comme partout ailleurs. Antoine De La Hubaudière, gendre de Caussy, entame après Noël 1778 un voyage le menant de loge en loge en Bretagne et Normandie. Bien sûr, son trajet passe par Ger. Il y voit les fabricants de pots en grès et le four couché pour les cuire, qu’il observe en tant qu’ingénieur. Il engage Guillaume Dumaine à venir à Quimper y enseigner ses méthodes de fabrication et de cuisson du grès. La fabrique de Locmaria produit déjà la faïence en blanc et en cul-noir, ainsi que la poterie vernissée. Elle y ajoute donc le grès. Caussy et son gendre peuvent passer un marché avec l’arsenal de Brest pour fournir des vases de grès dès septembre 1779. Le marché pour 6 ans est renouvelé en septembre 1785. La Pérouse emporte sur ses navires ces grès de Quimper conçus par Guillaume Dumaine pour les mers australes.

Son contrat rempli, Guillaume Dumaine décide de s’établir en société à Quimperlé. Il épouse une jeune fille de 13 ans en 1784, demoiselle de Lamant, et signe Dumaine de la Josserie. Le couple a 2 enfants à Quimperlé (1786 et 1788), puis 2 à Locmaria, (1789 et 1793). Pourquoi ce déménagement vers Quimper ? Guillaume Dumaine explique ses déboires à Quimperlé dans sa requête de janvier 1791, sollicitant un prêt pour bâtir un four à Locmaria. Il y travaille chez Guillaume Eloury, faïencier et parrain de son fils. Il obtient le prêt à la condition de se limiter à la fabrication du grès. J’explique dans « La fille du faïencier » ses débuts à Quimper.

Ne pas confondre Dumaine et Dumaine !

Si Guillaume Dumaine signe de « de la Josserie » c’est qu’il est bien originaire du village de la Josserie à Ger, mais il n’en est ni propriétaire, ni seigneur. À la même époque, existe une autre famille Dumaine de la Josserie : le premier acte de mariage de cette famille à Rennes, en 1658, concerne Etienne, marchand de draps, qui n’arbore pas ce titre dans l’acte et s’intitulera ensuite sieur du Chesnay. C’est son fils et ses descendants, armateurs de Saint-Malo, qui prendront le titre de sieur de la Josserie, sans aucun doute possessionnés à Ger dont la famille doit être issue. A noter que Pierre Dumaine, leur frère et oncle, est curé de Husson, dans le sud Manche proche de Ger. Le contemporain de notre potier, naviguant entre Saint-Malo et Lorient, sans doute informé, a dû lui préciser les choses et, Révolution aidant, Guillaume a abandonné titre et particule.

La terre de Toulven

Guillaume Dumaine développe peu à peu son atelier et assure sa fourniture en terre à grès par une prise à bail d’une terre argileuse dans l’anse de Toulven au sud de Quimper sur la rivière l’Odet, bail qu’il renouvellera plusieurs fois. J’explique tout cela en détail dans le tome « Madame la faïencière ».

Mais Guillaume Dumaine ne fut pas le seul à faire le voyage de Ger à Quimper, ni à s’y établir. Les registres de passeports mentionnent les voyages de ses neveux et cousins venus travailler chez lui de la Toussaint au printemps, au moment où les fours sont traditionnellement éteints à Ger. Michel s’est d’abord installé à Saint-Front, près de Domfront, où sont nées 2 de ses filles en 1815 et 1817, puis a rallié la Bretagne où il est resté comme tourneur en grès chez son cousin jusqu’à sa mort en 1825 et où ses enfants ont fait souche : son fils Michel Gabriel y a exercé son métier de potier, et sa fille a épousé un potier. Quant à ses sœurs, deux ont épousé un faïencier, une un chandelier. Le frère de Michel, André Antoine a plutôt effectué la transhumance saisonnière comme « tourneur en grès » au moins de 1805 à 1816, bien que s’étant marié à Ger en 1804. Il est mort en 1862 là où il était né en 1776. Il est accompagné dans ses voyages par Jacques Dumaine, « ouvrier en grès », 4 ans plus jeune, qui se marie à Ger en 1814 et y meurt en 1846, qualifié de cultivateur.

Le frère cadet de Jacques, Guillaume Marin Dumaine, est aussi du voyage, comme « ouvrier en grès », mais en 1812, il ne rentre pas à Ger : il se marie à Quimper et devient marchand de cidre jusqu’à sa mort en 1851. Aucun de ses enfants n’est potier, un de ses fils est menuisier, puis gardien du phare de Carantec à partir de 1845.

D’autres potiers gérois que les Dumaine effectuent le voyage, comme Pierre Caillebotte au moins de 1821 à 1826 et, en sens inverse, Antoine Schils, allant en 1823 de Quimper à Nort-sur-Erdre, chez Joseph De la Hubaudière puis, en février 1824, de là à Ger, accompagnant les saisonniers à son retour à la Toussaint. Il parcourt ainsi le triangle entre les 3 sites, passant aussi par Rennes.

Image
Bouteille de Quimper en grès / Musée de la faïence de Quimper © G. Kervella

 

À sa mort en 1821, son fils rachète sa part à sa sœur et agrandit la propriété, puis envisage de se mettre à la faïence. Par besoin financier, il s’associe à sa sœur et son beau-frère, marchands de cuir, sous la raison Dumaine-Tanquerey, mais s’endette et se trouve saisi en 1840, ses biens vendus en 1841, et rachetés par les Tanquerey, à sa grande surprise. Ne supportant pas le choc, il est enfermé à l’asile jusqu’à sa mort, en 1858. Ses 4 enfants ne lui succéderont donc pas, laissant la place à leurs cousins. Tout cela est narré jusqu’en 1869 dans le tome « L’honneur des faïenciers ».

Image
L’honneur des faïenciers, roman de Christian de la Hubaudière, 2010

 

HB et HR

L’entreprise reste une poterie de grès sous la direction du fils Tanquerey, Théodore, secondé par sa sœur Angèle, « l’âme de la maison » selon les ouvriers. A la mort des parents, ils héritent en indivision, avec leur sœur Marie Augustine, qui a épousé en 1864 un militaire du génie, Pierre Henriot. A sa retraite, ce couple vient habiter la poterie et le militaire s’échine à y remettre de l’ordre, mais il décède en 1884. Mourant en 1889, Théodore Tanquerey, lègue sa part à Angèle qui, décédant l’année suivante, institue son neveu Jules Henriot pour son légataire universel. Ce dernier a déjà pris la suite à la poterie. A la mort de sa mère, en 1891, il rachète leurs parts à ses deux sœurs et devient seul propriétaire. Il décide alors de se lancer dans la faïence sous la marque HR et se marie en 1894. L’entreprise fermera ses portes en 1968, absorbée par la faïencerie HB (De la Hubaudière) tenue par la famille Verlingue, et actuellement par M. Le Goff.

La bataille opposant HB et HR au début du XXe siècle passe aussi par l’histoire, chacun affirmant son ancienneté pour mieux asseoir sa légitimité. A la date 1420, sortie d’on ne sait où par HB, Henriot répond par la charte de 1402 des potiers de Ger, sur laquelle figure déjà le nom de Dumaine. La concurrence entre les deux faïenceries HB et HR provoquera une saine émulation dont l’histoire sera contée dans le dernier tome de la saga, « Les faïencières de Quimper », à paraître.

Christian de la Hubaudière, juin 2019.

Visitez le Musée de la faïence de Quimper dans le quartier de Locmaria :

http://www.musee-faience-quimper.com

Adresse

Locmaria
29000 Quimper
France

47.9882343, -4.1122854

Ajouter un commentaire

Le contenu de ce champ sera maintenu privé et ne sera pas affiché publiquement.

Texte brut

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.
  • Les adresses de pages web et les adresses courriel se transforment en liens automatiquement.
CAPTCHA
Ceci est un antispam