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Des potiers de Ger en forêt d’Andaine au XVIIe siècle

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Localisation des sites potiers de Ger et de la forêt des Andaines et de la carrière d'argile grésante de la Goulandes / Géoportail
Localisation:
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Juvigny-sous-Andaine
Type d'article:
Les ateliers et les familles

L’argile de la Goulande a fait le succès des poteries de Ger, sans doute dès la fin du Moyen-âge. D’autres potiers, près de la forêt d’Andaine, l’ont aussi utilisée, en particulier à Champsecret, Juvigny-sous-Andaine et La Chapelle-Moche, actuelle Chapelle d’Andaine.

Les Archives départementales de l’Orne conservent d’importantes séries d’actes notariés pour la région des Andaines [1]. Il s’y trouve des actes concernant l’activité potière, dont certains permettent de savoir que des potiers de Ger sont venus travailler dans cet espace au XVIIe siècle. En croisant ces informations avec celles recueillies dans les registres paroissiaux quand ils existent, il est possible de retracer le destin de quelques-uns de ces migrants d’un autre âge.

Des contrats d’embauche de potiers de Ger

Au XVIIe siècle, des potiers de Ger trouvent de l’embauche dans les sites potiers proches de la forêt d’Andaine, comme le montrent quelques contrats de travail retrouvés dans les archives notariales de l’Orne.

À Juvigny-sous-Andaine d’abord : un potier originaire de Ger, Hilaire ROBBES, est embauché par Toussaint GUILLOU pour faire des pots au village du Gué Besnard. Le contrat de travail, enregistré devant notaire, est présenté dans l’article « Un contrat pour fere des potz à Juvigny-sous-Andaine en 1625 » [2] .

À La Chapelle d’Andaine, appelée alors « La Chapelle-Moche », trois potiers du nom de CAILLEBOTTE sont recrutés le 24 février 1639, pour une année, par Guillaume BARBEDIENNE et Guillaume LEBRETON, eux aussi potiers [3]. Le premier, Pierre CAILLEBOTTE est dit « faiseux de gros potz ». Il demeure à La Chapelle-Moche. Par un contrat de mariage de 1637 [4], qui le concerne, on sait qu’il est originaire de Ger. Les deux autres sont aussi présentés comme potiers de Ger. Il s’agit de Gerosme (Jérôme) et un autre Pierre CAILLEBOTTE, lequel est « fils Clément ». La précision permet de le distinguer du premier, qui vit déjà à la Chapelle Moche. Les trois potiers CAILLEBOTTE sont identifiés comme spécialistes de la fabrication des gros pots, ce qui semble leur valoir d’être embauchés. L’acte indique qu’ils travailleront au four de La Renardière à la Chapelle-Moche, et qu’il leur sera fourni tout le matériel nécessaire à l’activité, y compris les bâtiments.

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Grand pot pour la conservation des aliments, en grès dit « de Ger »
Grand pot pour la conservation des aliments, en grès dit « de Ger ». Décor au pouce. Il peut aussi avoir été fabriqué dans la région des Andaines. Haut de 45,5 cm, son diamètre atteint 46 cm au niveau des oreilles / Coll. particulière. © E. Tiercelin

 

À Champsecret, l’année 1639 voit également l’arrivée d’un Gérois : Gilles ROBBES. Il est sollicité par Michel HÉLIX pour faire des pots au village des Auneaux (actuellement Les Aulneaux).

« […] Fut présent Gilles Robes, potier en la parroisse de Ger, lequel s’est submis et obligé à Michel Helix de Champsegretz à ce present et acceptant, scavoir est de travailler de son mestier de pottier pour faire potz au lieu des Auneaux en Champsegrey durant le terme d’un an qui commensera au premier jour de mars prochain venant. A la charge audict Helix de fournir de terre, sablon, et bois pour cuire lesdictz potz qui seront faictz par ledit Robes et ses domesticques durant ledict temps, et par luy faictz cuire au four à potz dudict lieu des Auneaux. Ce faict au moyen et par ce que iceluy Robes aura la tierce partie de ses potz, et ledict Hélix les deux partz qui departiront par chaincunne fournée [...] »

Au contraire du contrat signé par les potiers CAILLEBOTTE, ce document ne précise pas quel type de pots Gilles ROBBES devra fournir. La signature [5] en est faite le 24 novembre 1639 avec pour témoin Jerosme CAILLEBOTTE, de Ger, toujours présent dans la région où il honore sans doute le contrat qu’il a lui-même accepté au début de cette année là.

Ces quelques contrats retrouvés permettent donc d’affirmer que des liens existaient au XVIIe siècle entre le centre potier gérois et les sites proches de la forêt des Andaines. En mesurer l’ampleur est difficile. Cependant, certains indices laissent penser que d’autres potiers de Ger sont aussi venus travailler dans cette région à la même époque.

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D’autres potiers gérois du côté des Andaines ?

Les noms des familles potières de Ger sont connus. Certains de ces patronymes apparaissent au hasard des actes notariés et/ou des registres paroissiaux de Champsecret, La Chapelle d’Andaine ou Juvigny-sous-Andaine.  Repérer ceux qui sont peu fréquents dans les communautés potières de la lisière de la forêt d’Andaine, mais courants à Ger, pourraient signaler d’éventuelles migrations. C’est le cas du  patronyme DUMAINE, qui a été rencontré entre 1626 et 1637, avec trois prénoms : Balthazard, Martin et Gilette.

Un acte notarié de 1626 permet de savoir que Balthazard est originaire de Ger [6], mais ne dit pas qu’il est  potier. Il connaît le premier Pierre CAILLEBOTTE arrivé dans la région, qui lui loue une maison à Champsecret. On ne sait pas si les trois DUMAINE sont parents. François DEGRENNE,  fils d’Isaac et Louise MAUDUIT, qui se marie dans la région en 1706, vient de Ger. Il est présenté comme « marchand », sans plus de précisions.

Plus fructueuse a été l’enquête menée autour du patronyme VÉRON. Quelques actes notariés signalent la présence de deux potiers portant ce nom à Champsecret autour de 1660 [7], Pierre et Michel, « frères, fils de Catherin Véron », mais aucun ne signale leur origine. Il n’a pas été retrouvé de contrat de travail à leur nom dans le notariat consulté à ce jour. Ce patronyme est attesté à Ger au XVIe siècle : plusieurs potiers du nom de VÉRON sont présents dans une liste de 1520 [8]. De nombreux VÉRON figurent dans ce qui reste des registres paroissiaux du XVIIe siècle à Ger. En revanche, à la même époque, le nom est quasi absent des registres de Champsecret, La Chapelle-Moche et Juvigny-sous-Andaine où les archives de l’état-civil ancien ont été beaucoup mieux conservées. Il est tentant de penser que ces Véron-là pourraient être des potiers originaires de Ger…

La consultation des registres paroissiaux de Champsecret permet de les suivre sur quelques années.  L’acte le plus ancien contenant ce nom relate la naissance de Thomas VÉRON, le 28 février 1644, « filz Catelin »… qui pourrait être Catherin, père de Michel et Pierre. Dans le même registre, on trouve trois mariages VÉRON : Michel en 1651, Gilette en 1653 et Pierre en 1654. Puis des actes de naissance de plusieurs enfants des deux potiers, le dernier en 1663 pour Pierre. Un acte notarié du 10 août 1662 permet de savoir que Michel est décédé à cette date : son frère Pierre devient tuteur de ses enfants mineurs [9]. Pas d’acte de décès pour Michel : les registres sont lacunaires, il manque les sépultures entre 1660 et 1664. En revanche, on sait que Pierre VÉRON est inhumé au cimetière de Champsecret le 6 janvier 1665, et que sa veuve, Françoise HÉLIX, l’est six jours plus tard. Pour cette dernière, le prêtre précise : « laquelle avec son mary mourut du flux de sang », c’est-à-dire de la dysenterie.

C’est par les suites du décès des deux frères VÉRON que le lien avec Ger a finalement pu être établi. Julien BALLOCHE, époux de Gillette VÉRON vraisemblable sœur de Pierre et Michel, est devenu l’un des tuteurs des enfants. À ce titre, il gère leurs biens, dont des bâtiments et terres agricoles au village des Loges, à Ger [10]. Ces biens sont loués en 1669 à Abraham VÉRON, de Ger. Parmi les témoins de la signature de l’acte notarié établi pour cette location se trouve Jean VÉRON fils d’André, du Placître. Les VÉRON de Champsecret sont donc presque sûrement originaires de Ger ! Il resterait à savoir quand ils sont arrivés près de la forêt des Andaines. Il est vraisemblable que la famille s’est installée dans la décennie 1640, puisqu’un enfant de Catelin/Catherin y est né en 1644. Mais un seul…qui n’est ni Michel, ni Pierre ou Gilette, alors que les registres de baptêmes existent à Champsecret depuis 1622. À Ger, les registres paroissiaux sont très lacunaires. Toutefois, les actes des baptềmes ont été assez bien conservés entre la fin de l’année 1613 et 1630 malgré quelques manques [11]. Ils permettent de constater qu’un couple Catherin VÉRON/Julianne BASIN a vécu à Ger au début du XVIIe siècle, et y a eu au moins trois enfants : Michel, né le 17 octobre 1620, François en 1622, et Marguerite en mars 1625 – il est à noter qu’une Marguerite VÉRON est inhumée à Champsecret le 11 mai 1667, sans doute celle qui avait été la maraine d’un fils de Michel, en 1654. Le prénom « Catherin » est si peu usité qu’il est probable que ce soit la même famille. Leur départ de Ger a dû avoir lieu entre mars 1625 et février 1644, sans doute plutôt vers 1640 s’ils n’ont pas transité par une autre paroisse...

Certaines migrations ont été définitives

L’histoire des VÉRON de Champsecret au cours du XVIIe siècle montre que certaines familles ont définitivement quitté Ger pour s’installer à l’orée de la forêt des Andaines. Au XVIIIe siècle, il y a toujours des VÉRON à Champsecret…

Un autre exemple corrobore le premier : il s’agit de la famille d’Hilaire ROBBES, dont on sait qu’il est embauché à Juvigny-sous-Andaine en 1625 pour y exercer son métier. Si le patronyme ROBBES est le plus fréquemment rencontré à Ger dans les archives de l’état civil ancien, le prénom d’Hilaire ne l’est pas… et c’est une chance ! En effet, les actes de baptêmes conservés pour Ger entre 1613 et 1630 font état de la naissance de trois enfants pour un nommé Hilaire ROBBES et son épouse, Marguerite CALENDO : Michelle, née le 6 avril 1614, Thomas, le 16 mars 1617 et Denys, le 26 avril 1620.

Arrivé avant 1625 au Gué Besnard à Juvigny-sous-Andaine avec sa famille, Hilaire ROBBES y reste au moins quelques années, à une époque où ce nom de famille n’est pas présent dans les archives de l’état civil ancien pour cet espace. Les registres paroissiaux de Juvigny-sous-Andaine, qui sont conservés depuis 1624, ne font pas état de naissances d’enfants l’ayant pour père. En revanche on y trouve qu’en 1627, sa fille Jacqueline donne naissance à un fils illégitime, prénommé Jacques par Thomas ROBBES. En 1638, c’est sa fille Michelle qui donne naissance à une petite fille, également ex illicito, dont le parrain est… Jacques. De plus, un contrat d’embauche qui concerne Hilaire ROBBES et son fils Denys en 1639 [12] indique qu’à cette date, les deux potiers résident toujours à Juvigny-sous-Andaine.  Par ce contrat, Hilaire et Denys ROBBES s’engagent à travailler au four de la Renardière, c’est-à-dire à la Chapelle-Moche, à moins de trois kilomètres du Gué Besnard où Hilaire avait été embauché en 1625. Manifestement ils y restent, comme le montrent plusieurs actes « d’état civil » dans les registres de cette paroisse. Denys s’y marie avec Isabeau (ou Isabelle) DAMPOU le 29 janvier 1641, et le couple donne naissance à cinq enfants dans les années qui suivent. L’un deux, en 1645, a pour parain Thomas ROBBES. Veuf en mai 1652 d’Isabeau DAMPOU, il se remarie en septembre de la même année, toujours dans cette paroisse, avec Marie DELAMARE, qui lui donne cinq nouveaux enfants. Denys ROBBES est inhumé à la Chapelle-Moche le 9 février 1663.

Il n’a pas été retrouvé d’acte d’inhumation pour Hilaire ROBBES. Il est vrai que les séries d’actes de sépultures sont partielles dans cette paroisse. En revanche, Marguerite CALENDO qui fut son épouse décède à La Chapelle-Moche, le 22 juillet 1648, et y est inhumée le lendemain.

 

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Acte de sépulture de Marguerite Calendo
Acte de sépulture de Marguerite Calendo (Margeritte Calando), AD613NUMECRP211/EDPT395 _ 8, BMS de La Chapelle d’Andaine, vue 96/268.

 

Le patronyme CALENDO, bien connu à Ger, n’a pas été repéré dans la région hormis pour cet acte. Thomas, l’autre fils d’Hilaire, né à Ger, s’est marié à Juvigny-sous-Andaine en février 1638. Lui aussi passe par la Chapelle-Moche, où son fils Denis naît en 1641. Il n’a pas été découvert d’autres actes de naissance pour cette famille. Un acte notarié pour une adjudication de bois en 1648 permet de savoir que Thomas ROBBES est alors potier au village de La Hanterie à La Chapelle-Moche [13]. Martin BRICQUEVILLE, sieur de la Hanterie, est « stipullé et représenté par Vincent Dulioust et Thoumas Robes, ses fermiers et faisant valouer le four à potz de la Hanterie » à l’occasion de cette vente.

Quant à Jacques ROBBES, petit fils d’Hilaire, en 1650 il est marchand potier, paroissien de Juvigny ; il rend à Jullien GUILLOU, prêtre, ce que ce dernier lui avait « baillé », à savoir trois chevaux, l’usage d’un « four à potz […] avec les austres eustencilles servant à ladicte potrie, atendu que icelluy Robes a dict n’avoir auchun mouyen de faire valloir ladicte poterie, et par ce mouyen, icelluy Guillou s’en est vollontairem[ent] ressaisy[...] », le tout au Gué Besnard [14]. Au moins trois enfants naissent à Juvigny de son mariage avec Guillemine MENOCHET, entre 1654 et 1660. Enfin, Michel, naît en 1668 à La Chapelle-Moche, et c’est sans doute là que Jacques meurt le 29 mars 1670. Il n’a pas été retrouvé de trace de sa mère Jacqueline. En revanche, Jacques est mentionné comme témoin dans l’acte de sépulture de Michelle ROBBES, sa tante, décédée elle aussi à la Chapelle-Moche le 23 mars 1668. D’après la table des mariages conservée pour Juvigny-sous-Andaine, deux des fils de Jaques ROBBES et Guillemine MENOCHET s’y marient, l’un en 1687, l’autre en 1690, preuve d’un ancrage familial durable dans la région.

Pour terminer avec « ceux qui restent », il y a l’un des Pierre CAILLEBOTTE, celui qu’on pourrait appeler « l’aîné ». On ne sait pas quand il est arrivé près de la forêt des Andaines. Déjà présent en 1626 à Champsecret, il est témoin du mariage de Regné LETOURNEUR, du village des Aulneaux. Il ne reste pas dans cette paroisse mais il ne s’en éloigne pas beaucoup : au moment de son mariage à La Chapelle-Moche le 6 octobre 1637, il est présenté comme étant paroissien de Juvigny… et en 1639, le « faiseux de gros potz » demeure à La Chapelle-Moche. Avec Anne VILECOQ son épouse, il fait un bail pour des terres qu’ils possèdent à la Chapelle-Moche à un certain FRAIMBAULT TUSSON, par un acte du 22 juin 1642 [15]. Il meurt à la fin de la même année, le 20 novembre 1642, à la Chapelle-Moche.

D’autres potiers gérois n’ont fait que passer par les Andaines…

Parmi les potiers de Ger assurément de passage dans la région de la forêt d’Andaine se trouve Jérôme CAILLEBOTTE. Le contrat du 24 février 1639 mentionné au début de l’article a été signé pour un an. Il n’a pas été découvert de documents pour dire précisément s’il est arrivé avant, et quand il est reparti. Toutefois, plusieurs observations laissent penser qu’il circulait entre Ger et les sites potiers de la région des Andaines.

Comme pour Hilaire ROBBES, il se trouve qu’un seul Jérôme Caillebotte semble avoir vécu à Ger dans la première moitié du XVIIe siècle, marié à Julienne DUMAINE. Il peut être identifié grâce à sa signature : il sait écrire, et signe avec paraphe.

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Les signatures de Jérôme Caillebotte
Les signatures de Jérôme Caillebotte

 

Cette signature figure au bas du contrat d’embauche de 1639 ci-dessus cité, par lequel J. CAILLEBOTTE s’engage à travailler un an à La Chapelle-Moche. En revanche, sur deux autres actes notariés, elle confirme qu’il demeure à Ger. En avril 1646, il signe un bail pour une « piesse de terre en pres, située au lieu de Viel Val, paroasse dudict Ger » que Pierre CAILLEBOTTE, fils de Clément, demeurant à la Chapelle-Moche, lui loue pour trois ans. En 1652, il règle par avance sa succession, et l’acte qu’il signe alors précise  qu’il est « aagé de soixante ans ou viron », et qu’il réside à Ger, au village de Viesval. L’acte précise le nom de son épouse : Julienne DUMAINE. Le couple vivait à Ger dans la décennie 1620, comme en attestent les actes de baptême de deux de leurs enfants, Anne en 1624, et Jean en 1626. Dans l’acte notarié de 1652, se trouvent les prénoms des fils : outre Jean, sont mentionnés Nicolas, Isaac, Adrien et Gilles,  probablement nés dans la decennie 1630. Aucune trace de ces naissances n’est retrouvée dans les registres paroissiaux de la Chapelle-Moche, Juvigny ou Champsecret. Ils sont probablement nés à Ger, mais ces archives manquent pour le prouver... Jérôme CAILLEBOTTE est vraisemblablement resté paroissien de Ger, même s’il a pu être présent à Juvigny-sous-Andaine au moins en 1646 et 1648, comme sa signature en témoigne au bas d’actes notariés impliquant Pierre CAILLEBOTTE (fils de Clément).

La date du décès de Jérôme CAILLEBOTTE n’est pas connue. Elle intervient avant 1658, puisqu’il est défunt au moment de la signature d’un contrat de mariage de l’un de ses enfants [16]. En revanche, Julienne DUMAINE meurt le 1er décembre 1685, au « vilage de Vieval,  aagée de quatre vingt cinq ans ou viron ».

Comme Jérôme CAILLEBOTTE, Gilles ROBBES ne semble pas être resté dans la région de Champsecret. Du moins, il n’apparaît pas dans les registres paroissiaux, ni à Champsecret, ni à la Chapelle-Moche ou à Juvigny-sous-Andaine. Est-il reparti ? À Ger, vivent plusieurs Gilles ROBBES ; il est impossible d’identifier celui qui s’est fait embaucher par Michel HÉLIX en 1639…

Reste Pierre CAILLEBOTTE, fils de Clément, embauché comme potier en même temps que Jérôme. Plusieurs documents permettent de connaître un peu de son parcours. Vraisemblablement né à Ger le 22 novembre 1614, fils de Clément CAILLEBOTTE et Marie ROBBES, il est possible qu’il arrive près de la forêt des Andaines précisément en 1639, alors âgé de 25 ans. Il a épousé Marie GALLIENNE, fille de Denys avant le 29 janvier 1641 [17]. Un temps « pottier [...] demeurant au Guey Besnard, paroesse de Juvigny » [18], il s’installe à La Chapelle-Moche où il loue une maison à la Hanterie en janvier 1641. Son activité de potier est connue à travers plusieurs actes notariés. En février 1642, il signe un bail [19] avec François LOUVEL, Sieur de Tainnières, propriétaire de la moitié du four de la Renardière, pour utiliser ce four pendant trois ans. Il embauche successivement au moins deux potiers pour le seconder : Benoît LEPRINCE en 1642, à raison d’une journée par semaine, et l’année suivante Marin ESCHIVARD [20], pour un an. En 1644 et 1646, deux enfants du couple CAILLEBOTTE-GALLIENNE sont baptisés à la Chapelle-Moche.

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Différents modèles de petits pots de grès dit « de Ger » destinés à la pharmacie.
Différents modèles de petits pots de grès dit « de Ger » destinés à la pharmacie. Parmi eux se trouve peut-être une « petitte burette de medecinne » telle celles que François Louvel commande à Pierre Caillebotte (voir note 19) / Coll. particulière. © E. Tiercelin.

 

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Comparaison de deux types de production potière à Ger et dans les sites potiers proches de la forêt des Andaines.
Comparaison de deux types de production potière à Ger et dans les sites potiers proches de la forêt des Andaines. Le grand pot mesure 45,5cm X 46cm. La plus grande des fioles pour pharmacie est haute de15,5cm pour un diamètre de 6,5 cm. La petite bouteille intermédiaire : H : 8,5cm X D : 4,2cm. Le petit pot à onguent : H : 3cm X D. 3cm / Coll. particulière. © E. Tiercelin

 

La dernière trace de Pierre CAILLEBOTTE retrouvée dans les documents consultés à ce jour est datée de 1648. Il est présenté comme « marchand faiseur de potz demeurant à la Renardière ». C’est un acte notarié par lequel il semble se défaire d’animaux, vache et génisses d’une valeur de quarante livres. Un des témoins de cet acte est Jérôme CAILLEBOTTE, avec sa signature bien reconnaissable ! Pierre CAILLEBOTTE prévoit-il de repartir ? Toujours est-il qu’il n’y a plus d’autres mentions de son nom ou de celui de sa femme dans l’état-civil ancien à la Chapelle-Moche après 1648. Le nom de Marie GALLIENNE apparaît en 1660 sur un acte qui définit des lots dans la succession de Denis GALLIENNE, son père [21]. Elle est citée, mais non présente, représentée par une de ses sœurs. Son lieu de résidence n’est malheureusement pas précisé… Peut-être de nouvelles découvertes permettront-elles un jour d’en savoir un peu plus !

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À travers les témoignages laissés par les archives, il apparaît qu’au XVIIe siècle, des liens s’étaient tissés entre les centres potiers proches de la forêt des Andaines et Ger. La localité de Ger semble avoir été pourvoyeuse de main-d’oeuvre pour au moins trois sites dans la région des Andaines.

Les raisons qui ont motivé ces migrations restent inconnues : s’agit-il d’un appel des fabricants de poterie des sites d’accueil, manquant d’ouvriers ? L’embauche de « faiseux de gros potz » en 1639 est un indice dans ce sens. On ne peut pas en dire autant pour les deux autres exemples de contrats faits à des potiers de Ger, auxquels il était plutôt demandé toutes sortes de pots. Ne peut-on pas voir dans ces déplacements un mouvement volontaire de potiers en manque d’emploi dans leur espace d’origine, comme cela se produisait pour certains paysans qui partaient pour une saison dans des régions parfois lointaines ?  Remarquons que les deux occurrences ne s’excluent pas !  Une dernière hypothèse, complémentaire : certains des potiers concernés – les CAILLEBOTTE – viennent de Vieval,  village potier gérois où un four à pots a sans doute cessé de fonctionner au cours du XVIIe siècle [22], ce qui pourrait en partie expliquer leur départ. Les documents rencontrés n’apportent pas de réponse à ces questions. Mais ils permettent de comprendre que des potiers se sont déplacés seuls, et d’autres avec leur famille. Alors que certains n’ont été que de passage, d’autres ont choisi de s’implanter dans la région d’accueil.

L’existence de ces déplacements de potiers entre la Lande Pourrie et les Andaines est avéré, mais il est difficile à mesurer, compte tenu de la nature des sources, qui ne sont pas des documents statistiques. Le phénomène n’est vraisemblablement pas unique. Il serait intéressant de savoir si des migrations du même type ont pu exister avec Saint-Gilles-des-Marais ou Rouellé, par exemple. De même des échanges dans l’autre sens ne sont pas exclus. Cela laisse la place à de nouvelles découvertes, pour le XVIIe siècle… et les deux siècles qui suivent !

Évelyne Tiercelin - avril 2022 / AAPG

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Éléments de bibliographie

Dufournier Daniel et Fajal Bruno : « L’apparition du grès dans la région domfrontaise, premières observations », in La céramique du 11e au 16e siècle en Normandie, Beauvaisis, Île-de-France, [GRHIS, table ronde, Mont-Saint-Aignan, 12 février 1994], Les Cahiers du GRHIS, Presses Universitaires de Rouen, 1995, pp. 73-80.

Fajal, Bruno : « Statuts et règlements des potiers de Ger (XVe-XIXe siècle) », in  Histoire et Sociétés Rurales, n°10, 2e semestre 1998, pp. 239-263.

Fajal Bruno : « Une enseigne de métier des XVe-XVIe siècles à Ger (Manche) ». In: Annales de Normandie, 47ᵉ année, n°5, 1997. Etudes médiévales. Journées d'histoire du droit – 1996. pp. 575-591

Bruno Fajal, Yves Gallet, Philippe Lanos et Maxime Le Goff : « Chronologie et mutations fonctionnelles dans la poterie-tuilerie médiévale de la Goulande (La Haute-Chapelle, Orne), Avec une nouvelle datation du site de Saint-Georges-de-Rouelley », ArcheoScience,   41-2 | 2017 Varia, Presses Universitaires de Rennes, pp. 53-61.

Fajal Bruno, « Le centre potier de Ger (Manche) au XVIIIe siècle : contribution à la définition d'une industrie rurale », Le monde rural en Normandie. Actes du XXXIIe congrès des sociétés historiques et archéologiques de Normandie, Gisors, 2 au 5 octobre 1997. Cahier des annales de Normandie, vol. 3.,‎ pp. 363-376.

Fajal Bruno, « L’artisanat du grès à l’Époque moderne dans la région de Domfront : l’exemple de Champsecret », Bulletin de la Société Historique et Archéologique de l’Orne, vol. 3-4, 1995, pp.41-72.

Groussard David, « Les Brulay, une famille de fontainiers », Ger, un village normand à travers les siècles, t.2, Association généalogie et Histoire, Marigny, Eurocibles,‎ pp. 271-282.

Jouanne R. (1924) « Potiers de Ger et potiers ornais », Bulletin de la Société d’Histoire et d’Archéologie de l’Orne, 43, pp. 143-161.

Poussou Jean-Pierre. « Les mouvements migratoires en France et à partir de la France de la fin du XVe siècle au début du XIXe siècle : approche pour une synthèse ». In: Annales de démographie historique, 1970. Migrations. pp. 11-78

doi : https://doi.org/10.3406/adh.1971.1072  https://www.persee.fr/doc/adh_0066-2062_1971_num_1970_1_1072


[1] Registres numérisés et mis en ligne, hébergés par Généanet.

[3] AD61 4E33/42, Archives notariales de Juvigny-sous-Andaine (Orne) 1638-1639, vues 201-202/269.

[4] AD61 4E103/54, Archives notariales de Juvigny-sous-Andaine (Orne), 5/1637-12/1637, vue 62/115

[5] AD61 4E132/18, Archives notariales de Champsecret (Orne), 18/10/1639-28/09/1640, vues 46-47/359

[6] AD61 4E132/15, archives notariales de Champsecret (Orne), 04/01/1626-17/04/1626, vue 35/293.

[7] Voir par exemple AD61 4E132/20, vue 348/443 Michel Véron et Pierre Véron, frères, tous deux potiers, village des Auneaux à Champsecret.

[8] On trouve cette liste dans un article de Bruno FAJAL, « Statuts et règlements des potiers de Ger (XVe-XIXe siècle) », paru dans la revue Histoire et Sociétés Rurales, n°10, 2e semestre 1998, p. 257.

[9] AD61 4E132/21, Arch. Not Champsecret (Orne), 04/05/1662-06/05/1663, vue 159/500

[10] AD61 4E31/18/1, Arch. Not. La Ferrière-aux-Etangs (Orne)1/1668-1669, vue 205-206/305

[11] AD50 , 5 Mi 1173, Ger, Baptêmes 1613-1623 et 5 Mi 1173, Ger BMS 1624-1630.

[12] AD61 4E132/18, Arch. notariales de Champsecret (Orne),10/18/1638-09/28/1640, vue 46-47/359,

[13]  AD61 4E33/59, Arch. Not. de Juvigny-s-Andaine., 1647-1648, vues 91-92/128.

[14] AD 61, 4E102/10, Arch. Not., Tessé-la-Madeleine (Orne) 5/1650-9/1650, vue 24/106.

[15] AD61 4E33/48, Arch. Not. J-s-A (Orne), 16/04/1641-05/08/1642, vue 226/234.

[16] AD61 4E160/18, Notariat de la Lande Patry(Orne) 1658-1658, vue 50/411

[17] Fait connu par un acte notarié qui implique Denys Gallienne, père de Marie, et son époux Pierre Caillebotte.  AD61 4E33/46, Archives notariales de Juvigny-s-Andaine, 1641-1641, vue 68/275. L’acte de mariage n’a pas été retrouvé.

[18] AD61 4E33/44, archives notariales de Juvigny-s-Andaine (Orne) 1639-1640, vue 132/254.

[19] AD61 4E33/47, Arch. Not. Juvigny-s-Andaine (Orne), 1641-1642, vue 103/179. François Louvel fournit tout le matériel nécessaire, et garde 2/3 de la production. En outre, il exige « trois milliers de petittes burettes de medecinne » par fournée.

[20] Pour B. Leprince, même registre, vue 105/179 ; pour M. Eschivard, AD61 4E33/53, Arch. Not. Juvigny-s-Andaine (Orne) 1643-1644, vue 52/179.

[21] AD61 4E33/64, Arch. Not. J-s-A (Orne) 1660-1660, vue 151/239

[22] FAJAL Bruno. « Une enseigne de métier des XVe-XVIe siècles à Ger (Manche) ». In: Annales de Normandie, 47ᵉ année, n°5, 1997. Etudes médiévales. Journées d'histoire du droit – 1996. pp. 575-591 ; Mention concernant Viéval p. 582-583.

Adresse

61140 JUVIGNY-SOUS-ANDAINE
France

48.550449390553, -0.50868291290775

Commentaires

Soumis par Christian Huet (non vérifié) activé mar 05/04/2022 - 19:19

Jean Grandin a fait une publication sur le sujet, également basé sur l'étude des actes notariés:
"Les potiers de Juvigny et de la Chapelle-Moche aux environs du XVIIe siècle. Jean GRANDIN.
dans Le Pays Bas-normand, N° 112, 1960, pp. 118-137."
Je l'ai en PDF si besoin.
Christian

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