Un contrat pour « fere des potz » en 1625 à Juvigny-sous-Andaine
- Mortainais Domfrontais
Dans le passé de Juvigny-sous-Andaine (Orne), il y a des potiers. Leur existence est connue à l’époque moderne, la toponymie en fait mémoire [1], mais les modalités pratiques de l’activité ont été oubliées au fil du temps. Les archives notariales de l’Orne, en partie numérisées et accessibles en ligne [2], contiennent des documents qui permettent d’en approcher certains aspects. C’est le cas du contrat passé le 6 juillet 1625 [3]« au bourg de Juvigny » entre Hillaire Robbes et Toussainctz Guillou, dont voici la transcription :
« Led[ict] jour et an aud[ict] lieu [4], après midy,
Fut p[rése]nt Hillaire Robbes, natif de la parr[oisse] de Ger, de p[rése]nt dem[euran]t et faisant le mestier de pottier au lieu du Gué Besnard, paroi[sse] de Juvigny, lequel s’est, par corps et biens, obligé à Toussainctz Guillou, aussy marchand de lad[icte] parr[oisse] de Juvigny, à ce p[rése]nt, de luy fe[re] et estruire [5] durant trois ans com[m]ensant à Noël prochain, et finissant à [par]eil terme tout ce qu’il poura fe[re] de potz durant lesd[ictz] trois ans, ce f[e]z[an]t par ce [que] led[ict] Guillou s’est obligé payer aud[ict] Hillaire par Chacun an au prorata de ce qu’il en poura fe[re] de pots contables [6] quatre solz par chacun po[t] et en out[re] led[ict] Guillou payra pour le vinaige dud[ict] Hillaire Robbes la somme de soixante quatre solz par chacun an & aussy led[ict] Toussainctz Guillou s’est en out[re] obli[gé] payer aussy par chacun an à la femme dud[ict] Rob[bes] la so[mm]e de cinquante solz, et a payer led[ict] vina[ige] tant l’un que l’au[tre]à la Toussainctz prochaine venant, & a led[ict] Guillou promis et s’est obli[gé] payer & advancer aud[ict] Hillaire Robbes [par] chacun an la somme de quinze livres & le reste au bout de l’an et en les termes d’acord. Pr[ésenc]e Robert Le Vayer et Robert Roze de Juvigny, tesmoingtz.
Ce document apporte des renseignements, non seulement sur les contractants et un lieu d’activité potière, mais aussi sur les termes de l’échange.
Deux paroissiens de « Juvigny »
Le contrat concerne d’abord un dénommé Toussainctz (Toussaint) Guillou, présenté comme « marchand » de Juvigny. Il appartient à une famille de potiers du lieu, selon d’autres actes notariés conservés dans les Archives départementales de l’Orne. Par l’acte qu’il signe en juillet 1625, Toussaint acquiert pour trois ans toute la production de poterie d’Hillaire Robbes, sans doute pour la commercialiser.
Hillaire Robbes exerce « le mestier de pottier au lieu du Gué Besnard, paroisse de Juvigny », mais il n’en est pas originaire ! Il est « natif de Ger », sans doute alors déjà le plus grand centre de poterie de grès du Domfrontais. Sa présence à Juvigny-sous-Andaine montre qu’il existait des liens entre ces deux lieux de production, explicables au moins par une identique provenance d’une matière première essentielle, la terre des carrières de la Haute-Chapelle (voir l'article https://ceramique-traditionnelle-en-normandie.fr/article/largile-gres-d…. La distance entre Ger et Juvigny-sous-Andaine est d’une trentaine de kilomètres.
Les termes du contrat
Le contrat est signé pour trois ans ; il entre en vigueur à Noël en 1625 pour se terminer à Noël en 1628. Cela signifie-t-il que le potier peut travailler tous les mois de l’année ? Cela marquerait une différence avec le centre de Ger, où les statuts de la confrérie des potiers interdisaient l’activité entre la Toussaint et le premier lundi de mars.
Par ce contrat, Hillaire Robbes devient fournisseur de poteries pour Toussaint Guillou. Il n’est pas défini de quantité précise : le potier doit au marchand « tout ce qu’il poura fere de potz durant les dictz trois ans ». En revanche, les contreparties sont bien définies !
Tout d’abord, il y a une rémunération fixe chaque année. Toussaint Guillou s’engage à verser soixante quatre solz (sols) pour le vinaigre (ou vinage) du potier. Dans son sens premier, le vinage est une redevance seigneuriale liée à la production de vin, mais le mot a eu aussi le sens de pourboire, ou de cadeau. Le vinage d’Hillaire Robbes devait contribuer à sa subsistance. Autre rémunération fixe : Toussaint Guillou promet de verser, chaque année également, cinquante sols à la femme d’Hillaire. Hélas, le texte ne dit pas à quel titre ! Cette somme correspond-elle à un gage pour un travail lié à la production des pots ? L’intervention des femmes, par exemple pour la pose des anses, est attestée ailleurs [7], mais plus tard. Qu’en est-il au XVIIe siècle à Juvigny?
Le terme du paiement de ces sommes est fixé à la Toussaint. On peut remarquer que le premier versement doit intervenir « à la Toussainctz prochaine venant », c’est-à-dire avant même que le potier ait commencé de remplir son office, à partir de Noël.
Le contrat détermine aussi précisément comment le potier sera rémunéré pour sa production, « au prorata de ce qu’il poura fere de potz contables, quatre solz par chacun pot ». C’est donc le nombre de pots comptables qui permet de fixer le prix du travail du potier. Le pot comptable n’est pas une poterie particulière, mais une quantité prédéfinie de diverses poteries, qu’on peut fabriquer avec une quantité donnée de matière première. B. FAJAL l’a présenté pour Ger comme « un étalon de mesure défini et utilisé par les potiers eux-mêmes pour évaluer leur production » [8]. Il n’est pas certain que les poteries intégrées dans le « pot contable » soient les mêmes à Juvigny-sous-Andaine, mais le texte du contrat montre au moins qu’il existait là un système de mesure du même type. Pour le règlement des sommes dues, le contrat stipule qu’une avance de quinze livres est faite chaque année, sans préciser à quelle date. Ce versement est peut-être réalisé en début d’année puisque le solde, quant à lui, est réglé « au bout de l’an et en les termes d’acord », c’est-à-dire en fonction de la production effectivement réalisée sur l’année.
L’accord, passé devant notaire, est dûment signé par les contractants, témoins et notaires…
Pour conclure
L’acte ne dit rien des moyens de production : on ne sait pas qui fournit la terre, ni à qui appartient le four, ni même si le potier vit sur le lieu où il travaille. Rien non plus sur la destination finale des pots commandés par Toussaint Guillou. Le texte offre cependant beaucoup d’intérêt. Il montre que tous les potiers ne commercialisaient pas forcément eux-mêmes leur production qu’ils pouvaient vendre à des marchands. Il présente un système de rémunération complexe, et plutôt souple, puisqu’au moins dans cet exemple, il n’y avait pas obligation de fabriquer des quantités de poteries prédéterminées. Enfin, Hillaire Robbes, paroissien de Juvigny mais « natif de Ger » est un indice des liens qui ont pu exister entre les différents centres potiers du Domfrontais au XVIIe siècle.
Evelyne ROBBES / AAPG / mars 2021
[1]Par exemple le lieu-dit « Les petites Poteries ».
[3]Archives départementales de l’Orne, notariat, 4E33/26
[4]Le contrat a été signé le 6 juillet 1625 « au bourg de Juvigny ». Ces précisions figurent dans l’acte précédent.
[5]Estruire : édifier ; contraire de détruire. Ici, le sens peut être fabriquer
[6]Pot contable : pour Ger, l’expression a été définie par B. FAJAL dans l’article Statuts et règlements des potiers de Ger (XVe-XIXe siècle) paru dans la revue Histoire et Sociétés Rurales, n° 10, 2e semestre 1998, p. 239-263. Voir dans la suite de l’article, § Les termes du contrat.
[7]Au XIXe siècle, à Ger ou à Noron par exemple, les femmes participent à la décoration des pots et à la pose des anses.
[8]B. FAJAL, article cité. [le pot contable] « représente à la fois la matière première et l’énergie nécessaire à la fabrication de 4 barattes, ou 8 terrines, 8 pichets, ou encore 12 pintes, et, à la vente, le lot de poteries correspondant dans les rapports de proportions évoqués ci-avant ».
rue de Bonvouloir
61140 Juvigny-sous-Andaine
France
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