Pichet marquis et pichet d’amitié
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Le pichet anthropomorphe dit « Pichet marquis » est une production artistique du centre potier de Sauxemesnil (Manche). Le Dr Stephen-Chauvet le désigne aussi comme « pot à cidre de cérémonies » (in La Céramique bas-normande ancienne, 1950). Ce type de pichet était commandé par les familles aisées des environs pour un événement important ; la production s’étale de la fin du XVIIIe au début du XIXe s. Il sera progressivement remplacé par son avatar, le pichet d’amitié, plus simple à réaliser.
Ce pichet marquis représente un noble habillé à la mode de la fin du XVIIIe s. Le tricorne de gentilhomme dont il est coiffé, de taille importante, sert de bec verseur. Les potiers qui n’ont pas dû voir beaucoup de marquis en costume XVIIIe s. se sont très probablement inspirés des pichets en faïence fabriqués dans d’autres centres, Nevers par exemple.
Le modèle présenté ici est certainement ancien (par sa facture soignée et sa glaçure). Il mesure 26 cm de haut et 13 cm à la partie la plus renflée. La terre est rouge et la glaçure d’un brun clair mordoré présente des manques dans la partie inférieure, laissant apparaître la terre, ce qui permet de l’attribuer à Sauxemesnil.
Le pichet représente la partie supérieure du corps du marquis : visage avec collier de barbe, bras arrondis nettement détachés du corps, épaulettes, gilet à boutons ouvert sur une panse rebondie. Il porte la croix de Saint Louis (ordre royal et militaire créé par Louis XIV et disparu en 1830). Une grappe de raisin en façade et un bouquet de fleurs stylisé sur chaque côté complètent la décoration en applique. Le marquis tient une bouteille et un verre, à moins qu’il ne s’agisse d’un pistolet et d’une poire à poudre. L’anse en gouttière est fixée à l’épaulement et au bas du pichet, à la partie la plus large.
Le marquis sert à boire au manant ; ironie de l’histoire, c’est la revanche du roturier sur le noble, du gaulois sur le franc !
Le temps passant, la forme va évoluer, se simplifier et se rapprocher du pichet d’amitié, plus simple à réaliser. Il est possible aussi que la référence au marquis n’ait plus de signification pour les acheteurs du XIXes. L’Ancien Régime est loin.
Le pichet d’amitié de Sauxemesnil, parfois aussi appelé pichet de mariage, avatar du pichet marquis ?
Ce pichet (puchyi), plus rapidement exécuté, est la forme simplifiée du pichet marquis ; il lui est postérieur. Ce pichet décoré est obtenu par application à la barbotine sur un pichet « ordinaire » de motifs tels que mascarons, têtes de deux tailles différentes, pots à fleurs et bouquets stylisés…La décoration est chargée et couvre l’ensemble du pot dans une composition symétrique. S’y ajoutent un rang de perles au bas du col, des bandes de chevrons réalisées à la roulette et des croix dans un cercle (décors sygillés). Un couple se tenant la main est représenté sur la face, en bas du pichet, ce qui évoque le mariage.
Le décor est identique à celui que l’on retrouve sur les objets fabriqués par le potier Alexandre Lebas dans les années 1875 ; un exemplaire de ce type de pichet est exposé au musée de Coutances, issu de la collection de Stephen Chauvet.
Le bec verseur est réduit par rapport à celui du pichet marquis ; il se rapproche beaucoup plus du pichet ordinaire. La glaçure est brun foncé et brillante, sur une terre rouge caractéristique de Sauxemesnil. L’anse, en crosse est fixée sous le col et au tiers de la panse.
« Il est probable que ces pichets furent assez rarement fabriqués puisque je n’en ai rencontré que deux exemplaires »mentionne Stephen Chauvet à la fin de son article. Les goûts des acheteurs ont évolué et les potiers vont disparaître.
Jean Lepetit / AAPG
50700 SAUSSEMESNIL
France
Commentaires
précision
Il faut savoir qu'il ne faut pas parler de Grès pour les poteries des centres de Potiers du nord-Cotentin. La raison en est que le grès est imperméable après une cuisson autour de 1350° et ne nécessite pas de glaçure qui devient alors un élément de décoration (Grès au sel). Cette glaçure au plomb et cendre était indispensable sur les poteries de Saussemesnil, Néhou et Vindefontaine pour les rendre étanches.
La cuisson dans ces anciens centres ne montait pas au delà de 950, 1000°. Les raisons évidentes : soit des terres trop fusibles qui demandaient parfois des mélanges avec des argiles d'un autre filon, soit des problèmes de fours qui ne supportaient pas les hautes températures obtenues plus tard dans les centres de Gers ou Noron (près de Bayeux) un ou deux siècles plus tard. JLM
On se souviendra des poteries que le sire de Gouberville commandait aux potiers de Saussemesnil au milieu du XVI ème siècle !
C'est un vaste débat ! …
C'est un vaste débat !
Dans le Mortainais et le Domfrontais, l'analyse de tessons issus des fouilles archéologiques a montré que des protogrès ont été produits dès la fin du XIIIe siècle. La maîtrise de la cuisson du grès a donc été effectuée très tôt. Il apparaît que, sur tous les sites de l'ouest normand (Bessin, Cotentin, Mortainais, Domfrontais), les poteries utilitaires (pot à beurre, terrine, pots à lard, bouteilles, etc.) étaient cuites pour devenir du grès vers 1300° C. Les poteries utilitaires conservées de ces centres ne sont ainsi pas émaillées. Seule, une glaçure au sel en fin de cuisson assurait une protection supplémentaire si la poterie était bien placées par rapport aux trous de dépôts de ce sel dans la voûte du four.
Les poteries plus soignées et plus décoratives bénéficiaient en effet d'une glaçure au plomb. La recherche des potiers était alors plus dans l'effet décoratif que dans leur étanchéité.
Il est bien évident qu'en fonction des centres potiers, des artisans, du type d'argile extraite, du travail de la terre, de la période considérée, les productions ont été très diverses.
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