Des loups, une forêt et des privilèges pour les potiers
- Mortainais Domfrontais
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Le 10 juillet 1904, un dénommé MAUGER, instituteur à Ger rédige un article sur la commune qui paraît un an plus tard dans l’Annuaire de l’enseignement primaire de la Manche (9e année, pp. 209 à 220). Il y évoque l’intérêt de la forêt de la Lande Pourrie, qu’il appelle forêt de Ger, pour l’activité potière. Laissons-lui la parole :
« … Près d’un tiers du territoire [ de la commune de Ger ] est couvert de grands bois et d’épais taillis où le hêtre domine… Il y a vingt ans à peine, Seigneur Loup y prenait ses quartiers d’hiver et ses hurlements, au crépuscule, faisaient lors courir plus d’un frisson sur le corps du passant attardé dans les sentiers. Aujourd’hui, la forêt débarrassée de ce locataire peu sociable, est le but de promenade des habitants du bourg. Aux douces soirées de mai et de juin, ils y vont, par groupes, entendre les trilles du rossignol, hôte plus charmant… »
Un privilège
« … Le plus ancien document concernant [ la fabrication des poteries Ger ], conservé aux archives de la Manche, est de l’année 1402. Il a trait aux franchises dont jouissaient à l’époque, dans la forêt seigneuriale, les roturiers fabriquant des pots. Un autre manuscrit nous apprend que vers la fin du XVe siècle, les potiers s’organisèrent en confrérie…Le fils succédait au père comme chef potier et à cette condition seule conservait le droit de couper dans la forêt, moyennant légères redevances, le bois nécessaire au chauffage de son four à pots… »
La matière première
« … Tout nous porte à croire que c’est précisément la proximité de la vaste forêt de la Lande-Pourrie et les droits des potiers à la coupe du bois qui ont favorisé leur établissement sur le territoire de Ger, car contrairement à la grande loi économique qui pose comme principe général que l’industrie se développe là où gît la matière première, ce n’est pas à Ger que l’on trouve l’argile employée. Elle est extraite à 16 kilomètres de là, aux carrières de la Goulande, commune de la Haute-Chapelle, tout près de Domfront… »
La cuisson
« … Le chauffage se fait à l’avant du four. On débute par un feu léger, de façon à saisir la terre peu à peu, puis on force progressivement la chaleur. Il faut, par fournée, de 50 à 55 stères de bois de hêtre, ce qui représente, en achat, abattage et transport une dépense de 280 à 300 francs (NDLR : soit près du tiers de la recette de la vente de la fournée). La cuisson dure 100 heures environ, soit 4 jours et 4 nuits… »
Ainsi, les ouvriers potiers étaient également bûcherons du 1er novembre au premier lundi du mois de mars, lorsque les fabriques ne fonctionnaient pas à cause du froid.
Au plus fort de l’activité, avec une fournée tous les 15 jours pendant les 8 mois de cuisson par an, un seul four consommait alors 800 stères de bois ! Dans la première moitié du XIXe siècle, ce sont vingt-et-une fabriques qui fonctionnaient dans les villages potiers de Ger. Si on suppose qu’au minimum, il y avait un four par atelier, c’est donc près de 20 000 stères de bois qui étaient consommés par an par les potiers de Ger, soit un cube de 140 m de côté !
La forêt, bien que vaste, s’est petit à petit dégradée.
Cet article de l’instituteur Mauger constitue une référence pour connaître techniquement l’activité potière de Ger car il a observé ce travail à la fin du XIXe siècle, alors que sept fours sont encore en activité et que « les potiers se trouvent débordés par les commandes, suffisant à peine aux exigences de la clientèle. »
François Toumit / AAPG
La Lande Pourrie
50850 GER
France
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