Gourde ou réserve à tabac ?
- Mortainais Domfrontais
- Les usages domestiques
Gourde… ou plutôt réserve à tabac ? Cet objet en grès de Ger, daté de 1892, mesure 17 cm de hauteur, et autant en largeur. Il atteint 10 cm dans sa plus grande épaisseur. Tourné comme une bouteille ronde, il a été aplati à mi-hauteur, sans doute coupé à 2/3 du col,et sa base modifiée, recollée à la barbotine, pour lui donner une forme de tabatière.
Le fabricant a signé son travail :
MORIN LEON
FRT DE POTERIE
JER [sic] (MANCHE)
Le potier semble fier de son travail ou de son tampon, qu’il a utilisé cinq fois ! (quatre fois sur le devant au col et sur la panse, et une fois en arrière du col). L’ornementation de fleurs et de feuilles a été réalisée par estampage. Au revers de la poterie, apparaît un décor tout-à-fait original : une tête de chat dessinée à la pointe ! Ajoutons, pour terminer la description, que cet objet pour le moins original, est dédicacé : « A. Banvillet, Vire »
Petite histoire de deux hommes autour d’un objet
Tout d’abord, le potier !
À Ger, les familles de fabricants de poterie les plus connues ont pour nom Dumaine, Robbes, Véron, Théot, Lelièvre, Esneu … Notre fabricant, Léon Morin, est né à Ger le 28 octobre 1840, de Julien Morin qui se déclare « cultivateur ». Léon est enregistré comme cultivateur quand il se marie à Yvrandes en 1872, ainsi que dans les actes de naissance de ses trois premiers enfants, à Ger. En revanche, en 1879 et 1883, à la naissance des 4e et 5e enfants, Léon Morin est désormais « Fabricant de poterie ». Il l’est toujours dans le recensement de 1886 . Il l’est encore au moment de sa mort le 16 septembre 1901. Pendant tout ce temps, il vit à La Haute-Louverie, un hameau potier, fief traditionnel de la famille Dumaine. On peut penser que Léon Morin a pu être ouvrier potier comme son père, Julien, qui est presque toujours recensé comme « cultivateur », sauf en 1856 où il est déclaré « ouvrier potier ». Son frère Jean apparaît aussi avec les deux mentions de métier.
On sait que les fabriques de poteries n’employaient pas leurs ouvriers à plein temps, et que l’activité agricole était pour eux un complément indispensable. Le changement de situation de Léon devenu « fabricant de poterie » peut sans doute être considéré comme une forme d’ascension sociale, cependant à un moment où l’activité potière décline .
Ensuite, le destinataire !
Une première recherche dans le recensement de la population à Vire pour l’année 1891 a permis de trouver une famille Banvillet, dont le chef se prénomme Auguste Adolphe. Il habite 6, Place Nationale, et on l’enregistre comme épicier. Les registres d’état civil pour l’année 1887 à Vire fournissent son acte de mariage avec Marie Mouchard. Dans ce document, il est déclaré « sculpteur », né à Viessoix… Il s’avère qu’il est issu d’une célèbre famille de sculpteurs de belles armoires et autres meubles normands. Son grand-père, Nicolas-François, a été tout particulièrement reconnu pour son style qu’on a appelé « virois » .
Enfin, une question pour rêver un peu : ce sculpteur a-t-il fabriqué les tampons utilisés par le potier pour décorer l’objet, fleur et feuille, notamment ? De tels tampons étaient généralement en bois, et il faut être habile à la gouge et au ciseau pour exécuter ces petits motifs. Le tampon portant le nom de Léon Morin peut-il avoir été réalisé par Alphonse Banvillet ? Pour qu’il y soit écrit « Jer » et non « Ger », on peut penser que la personne qui l’a réalisé n’était pas de Ger… Rien ne permet d’affirmer que le tampon était en bois, évidemment. Des caractères d’imprimerie métalliques ont pu être utilisés. Mais la faute d’orthographe est étonnante ! Le fait que l’objet, peut-être un cadeau, porte cinq fois ce sceau, pourrait être un clin d’oeil malicieux du potier au sculpteur, en guise de remerciement !
Evelyne Robbes / AAPG
La Haute Louverie
50850 Ger
France
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