Le Dr Stephen Chauvet (1885-1950), premier ethnologue des céramiques normandes
- Cotentin
Un médecin ethnologue et archéologue
« Notre confrère le docteur Stephen Chauvet, né à Béthune, était normand d’origine, riche d’une magnifique hérédité scientifique et intellectuelle ». Ainsi commence sa nécrologie rédigée par Patrick O’Reilly[1]. « Très jeune, Stephen Chauvet manifesta une vivacité d’intelligence dont on rencontre peu d’exemples ». Ses très brillantes études s’achèvent en 1914. Sa carrière de médecin est ponctuée de nombreuses publications et de plusieurs prix de médecine.
C’est après la guerre 1914-18, d’où il revient hémiplégique, qu’une de ses amies lui offre une statuette du Soudan et que « Chauvet fut touché par la grâce de l’art nègre et par le démon de la collection. »
Il devient « un des plus sûrs animateurs de ce mouvement qui oriente l’opinion publique vers les arts indigènes ». Il achète plusieurs collections dont les objets rapportés de l’île de Pâques par Pierre Loti, anime de nombreuses expositions puis écrit d’importantes publications.
Dès 1929, il fait don de très grosses collections d’objets d’art et d’armes, africain ou océanien au Musée d’ethnographie du Trocadéro (collection désormais transférée au Musée du quai Branly) et à plusieurs musées de province (Brest, Cherbourg, La Rochelle, Lyon, Rouen).
La Normandie ancestrale
Issu d’une vieille famille du Coutançais, Stephen Chauvet séjourne régulièrement avec sa femme Marguerite et sa fille Jacqueline au manoir qu’il possède à Nicorps (Manche).
Sa passion pour l’ethnologie s’applique également à la Normandie et plus spécialement à « l’étude des hommes, des usages, des costumes, des meubles, des ustensiles et du patois de la Basse-Normandie de l’arrondissement de Coutances »[2]. Pendant quinze années, lors de ses séjours coutançais, il dit parcourir les musées, assister à de nombreuses « vendues », visiter de nombreux manoirs et des fermes, fréquenter les boutiques des antiquaires et des chiffonniers, lire de nombreux livres et des revues, parcourir de vieux inventaires et d’anciens contrats, étudier des vieilles gravures, interroger de nombreux vieillards normands !
Car, aucune étude, dit-il, ne décrit « les caractéristiques ethniques des habitants, leurs coutumes ancestrales, les particularités de leur nourriture, leurs vieux costumes et leurs anciens bijoux, leurs meubles et ustensiles traditionnels et en enfin leur patois ».
La première édition de son ouvrage « La Normandie ancestrale » parue en 1921 veut combler ce vide.
Dix pages sont consacrées à « La poterie normande du bas Cotentin » dans lesquelles il recense vingt-quatre catégories de céramiques principalement issues des centres de Vindefontaine, Saussemesnil et Néhou. « Ces centres ont disparu depuis plusieurs années déjà, et les derniers potiers de ces localités sont partis pour Noron près de Bayeux… Il est navrant que, faute d’avoir su lutter contre la concurrence en modernisant l’outillage, tous ce centres potiers aient été abandonnés. »
Plusieurs illustrations présentent des poteries collectées par Stephen Chauvet.
Le docteur termine son chapitre sur les poteries par un conclusion très affective teintée de déterminisme que récuserait un ethnologue d’aujourd’hui :
« Ce qui fait l’intérêt et le charme des vieilles poteries normandes se ressent, mais ne peut guère se décrire et encore moins se justifier. On peut remarquer cependant que son coloris, son apparence robuste, pratique et rude, sont en harmonie avec la race (robuste, pratique et dont l’abord et peu facile), avec le droguet des vêtements (étoffe d’un aspect rugueux et d’une extrême solidité) et celui des couvertures avec la toile de fil (grossière mais solide) des chemises et des draps, avec les cuivres de Villedieu (élégants et puissants), avec les robustes armoires de chêne ( à l’aspect sévère mais ayant des formes harmonieuses et puissantes, sans la lourdeur des meubles alsaciens), avec l’aspect des fermes (construction de forme simple, possédant d’épais murs et pierre grise ou de granit), avec l’aspect général du pays (ambiance de grisaille mélancolique) et enfin avec le climat, âpre et pluvieux. Tout cet ensemble révèle le caractère de la race normande. »
La céramique bas-normande ancienne
Parmi toutes ces problématiques d'ethnologie normande, Stephen Chauvet se spécialise, quand il séjourne dans la Manche, dans l’étude des céramiques du Cotentin qu’il continue de collectionner. Il collecte de nombreuses données puis rédige un ouvrage qui constitue la première référence sur la céramique régionale « La céramique bas-normande ancienne - Livre I : texte - Livre II : iconographie » dont il confie l’impression aux Éditions du Mortainais (Mortain - Manche), en 1950[3].
Malheureusement, « l’ouvrage était à peine broché qu’un incendie ravagea entièrement l’imprimerie et en anéantit le stock, à l’exception d’une centaine d’exemplaires qui purent être mis en vente à l’époque. »[4]
1950 est aussi l’année de la disparition de Stephen Chauvet, le 2 avril à Paris. Il est enterré dans l’enclos paroissial de l’église de Nicorps (Manche).
En 1982, la Librairie Guénégaud en assure la réédition. C’est un ouvrage que l’on peut encore trouver dans des librairies spécialisées. Cette étude reste encore aujourd’hui (malgré quelques approximations) une référence sur l’histoire de poterie normande.
« Il eut été dommage de laisser dans l’ombre, voire dans l’oubli, ce merveilleux livre du Docteur Stephen-Chauvet. », précise l’éditeur.
La collection de poteries du docteur
En 1969, Madame Jacqueline-Louis Gallouin-Chauvet, sa fille, fait don au musée Quesnel-Morinière de Coutances de la plus grande partie de cette collection, selon la volonté de son père. Ce don fut complété par un legs en 1984. L’ensemble, consacré principalement aux trois grandes centres potiers du Cotentin : Vindefontaine, Saussemesnil, Néhou, mais comporte également des pièces provenant de Ger, de Noron et du Pré d’Auge.
https://ceramique-traditionnelle-en-normandie.fr/lieu/musee-quesnel-mor…
La collection de céramiques normandes du docteur Stéphen Chauvet fait aujourd’hui la fierté du musée de Coutances dont elle constitue un des centres d’intérêt majeurs.
Il serait aujourd'hui fort intéressant, à l'aune des nouvelles connaissances sur les sites de potiers, de réétudier cette collection exceptionnelle et de valoriser ce travail dans la salle qui lui est consacrée.
F. Toumit / AAPG
[1] Journal de la société des Océanistes : année 1951 / pp. 219-222 https://www.persee.fr/doc/jso_0300-953x_1951_num_7_7_1703
[2] Dr Stephen Chauvet, « La Normandie ancestrale » chez Boivin & Cie éditeurs, 1ère édition, 1921.
[3] Dr Stephen-Chauvet, « La céramique bas-normande ancienne, Éditions du Mortainais, Mortain (Manche), 1950.
[4] Avertissement de Marc Pénau - Réédition de « La céramique bas-normande ancienne, Librairie Guénégaud, 1982.
50200 NICORPS
France
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