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L’Enquête des préfets sur la céramique

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échantillon de poterie de Ger envoyé en 1809
Localisation:
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Sèvres
Type d'article:
Les productions

L'Enquête des préfets sur la céramique réalisée sous le Premier Empire est un ensemble exceptionnel réunissant les échantillons d'argiles brutes, les objets manufacturés et l'abondante correspondance échangée entre Alexandre Brongniart (1770- 1847), administrateur de la Manufacture impériale de Sèvres et les préfets de trente-six départements d'une France impériale. La correspondance livre de très précieux renseignements sur les usages des fabricants, leur vocabulaire, leurs gestes et les pratiques de l'époque. Les objets envoyés ainsi que la correspondance et les échantillons d'argiles sont toujours conservés sur le lieu de leur réception : la Manufacture de Sèvres. 

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Buste d'Alexandre Brongniart
Buste d'Alexandre Brongniart conservé au Musée national de la céramique à Sèvres. Très impérial !
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L’enquête pour le département de la Manche

Après l’envoi par le ministre de l’Intérieur une lettre circulaire le 13 thermidor an 13, Alexandre Brongniart contacte directement le préfet de la Manche le 21 mars 1806 en le sollicitant sur deux points.

Il mentionne que « la manufacture de Sèvres est à la merci des marchands de kaolin de Limoges »qui menacent perpétuellement de renchérir cette matière première et voudrait alors essayer le kaolin issu des carrières près de Valognes « afin de calculer sur des bases certaines les avantages et les inconvénients. »

Par ailleurs il rappelle que « nous faisons à Sèvres une collection de toutes les poteries, porcelaines, matières premières, matières en fabrication, que nous pouvons rassembler. Nous espérons que vous voudrez bien contribuer à augmenter cette collection assez intéressante en nous procurant les objets de ce genre que l’on fabrique ou que l’on a fabriqué dans votre département. Nous sommes autorisés à les acquérir par voie d’échange avec notre porcelaine ou même à les acheter selon le désir des donataires. »

Deux ans et demi plus tard, le 23 septembre 1809, le préfet de la Manche, Louis Costaz, dépose au Bureau des messageries de Saint-Lô, àl’attention de Monsieur Brongniart, administrateur de la Manufacture de Porcelaine de Sèvres, une « caisse renfermant 54 échantillons de porcelaines, faïence et poteries fabriquées dans le département de la Manche. »ainsi que des échantillons de terres ». 

Il adresse en même temps au Ministre de l’intérieur « des notices indicatives des différents échantillons et qui font connoître les matières et les procédés employés par les manufacturiers pour la composition des couvertes et des vernis. Vous verrez par ces échantillons et par les notices que l’art de la poterie est encore ici dans l’état le plus grossier. »

Les objets adressés par le préfet concernent la manufacture de porcelaine de Valognes et les manufactures de poterie de Vindefontaine, de la Chapelle-en-Juger, de Montreuil, de Ger, de Sauxemesnil et de Néhou.

 

L’enquête pour les ateliers potiers de Ger

Pour Ger, c’est le sous-préfet de Mortain, Pallix, qui adresse le 17 avril 1809 au préfet de la Manche une notice explicative :

            « Il n’existe dans l’arrondissement de Mortain qu’une seule fabrique, établie dans la commune de Ger, canton de Barenton, d’une poterie commune, d’un usage très varié et habituel dans la classe la moins fortunée et la plus nombreuse de la société.

            Cette poterie pourroit être appliquée avec succès à tous les besoins domestiques et remplacer une très grande partie des ustensiles de cuisine si elle avait moins de fragilité et si elle pouvait mieux et plus long temps résister au feu.

            Dans son état actuel et en attendant que cette fabrique ait acquis le degré de perfection qui lui manque, elle est employée avec beaucoup d’avantage d’abord aux conduits de fontaines, on y fait des tuyaux de quelques centimètres de diamètre, suivant le volume d’eau que l’on veut diriger et de cinq à six décimètres de longueur qui ajustés les uns au bout des autres avec un ciment impénétrable à l’eau forment un aqueduc très solide et très durable et qui n’altère jamais la qualité de l’eau.

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Embout de tuyau d'adduction d'eau Véron
Embout de tuyau d'adduction d'eau produit par l'atelier de P. Véron / Coll. privée © A. Poirier AD50.

         

          On fait encore beaucoup de bouteilles de différentes grandeurs propres à contenir des liquides de toute espèce, des vases à l’usage des laiteries ou l’on dépose le lait pour le laisser crémer, des pots pour la salaison et la conservation des beurres, des graisses et des viandes.

            Cette poterie composée uniquement d’une terre glaise prise dans le pays à une distance de 15 à 20 kilomètres, mêlée avec un peu de sable, bien manipulée et couverte en une pâte fine qui prend sous la main de l’ouvrier toutes les formes que l’on veut lui donner, n’admet le mélange d’aucun corps étranger, aucun vernis, aucun emploi de plomb ou de l’étain.

            Pour vous donner, Monsieur le Préfet, quelques détails un peu satisfaisant sur les divers procédés employés pour la fabrication de cette poterie, je m’étois adressé à Mr Véron l’un des meilleurs fabricant de la commune de Ger : mais il s’est réduit à me faire passer deux petits échantillons de pots pris à la sortie du four un échantillon de la terre qu’elle se tire de la carrière et une petite pelote de cette même terre préparée et meslée avec la quantité de sable nécessaire pour en faire usage. J’ai l’honneur de vous adresser ces échantillons qui vous suffirons pour juger de la chose et si vous avez besoin d’instructions plus amples, ce que je ne crois pas, je m’empresserai de vous les donner.

            Je me borne à vous prier d’observer que la teinte plus ou moins rembrunie de ces deux échantillons dépend du degré de cuisson : que ce degré de cuisson résulte de la place occupée dans le four dont la profondeur est de six à sept mètres et que la couleur est la suite de la fusion du sable mêlé avec la terre,… »

Visiblement, le maître potier Véron s’est acquis de cette demande avec réticence et le sous-préfet ne semble pas vouloir retourner solliciter les potiers de Ger !

Il reconnaît le grand intérêt des poteries employées « avec beaucoup d’avantage »à de multiples usages mais regrette que la fabrique n’atteigne pas « un degré de perfection qui lui manque ». Comment expliquer ce discours contradictoire ? L’aspect rustique des poteries par rapport aux délicates porcelaines et aux faïences fines alors en plein développement, la technique perçue comme rudimentaire qui « n’admet le mélange d’aucun corps étranger, aucun vernis »ou encore l’usage des pots réservé« à la classe la moins fortunée » ?

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échantillon de poterie de Ger envoyé en 1809
Échantillon de poterie de Ger envoyé par le préfet Costaz en 1809 © Musée national de la céramique.

 

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Étiquettage du pot
Étiquettage du pot de Ger adressé par le préfet Costaz à la Manufacture impériale de céramique © Musé national de la céramique.

 

La production géroise a, semble-t-il, souvent été mal perçue par les gens éloignés des techniques de fabrication et de leurs utilisations des pots.  Cette lecture négative se retrouve un siècle plus tard, en 1924, dans un article de R. Jouanne paru dans le Bulletin de la société historique et archéologique de l’Orne. L’auteur dénigre l’absence d’émaillage. « N’allez pas croire qu’on prend les pots un à un et qu’on y passe un vernis approprié à l’aide d’un pinceau ; non, c’est trop compliqué… ça s’est toujours fait comme ça ! ». Méconnaissance complète de l’intérêt du grès qui est imperméable

 

Deux études de référence :

Vaudour Catherine. L'enquête des préfets sur les manufactures de céramique [L'exemple de la Manche]. In: Annales de Normandie, 34ᵉ année, n°2, 1984. pp. 191-200; doi : 10.3406/annor.1984.5556

 

Michel Dubus, Béatrice Pannequin. La céramique française sous l’Empire à travers l’enquête des préfets (1805-1810)1. 33, 1999, Notes et documents des musées de France, 2-7118-3918-4. .hal-02376632.

 

Adresse

2 Place de la Manufacture
92310 Sèvres
France

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